Elle était là, assise sur son canapé. Vêtue de rien. De ces peaux de dentelle qui couvrent à peine le corps, et un peignoir de soie posé sur les épaules. Elle a le teint clair souviens-toi, et les cheveux lâchés.
Faire des passes toute la journée, ça use, mais il faut être belle.
Gagner son pain et mériter sa place ? Être belle, c’est certain que ça aide.Elle avait quitté sa campagne natale pour se rendre à la ville, pour gagner quelques sous. Devenir bonne sans avoir de recommandations ? Personne n‘avait voulu d’elle alors c’est vrai, il faut bien manger. Ce sont des choses qu’on ne dit pas, mais qui se savent dès que l’on traîne vers les quais, non loin des enfants des rues, que l’on a épuisé le maigre trésor qu’il nous reste, et qu’il commence à faire faim, très faim.« Si tu te laves et que tu t’apprêtes tu verras que tu es jolie ». Être jolie ? Elle n’y avait jamais pensé, on ne pense pas à ça quand on trait les vaches, il faut être rapide, costaude, courageuse, aller dans le purin, savoir manier la fourche mais pas être jolie.
Le jeune garçon qui parle pourrait être son frère. Il a quel âge celui-là, peut-être 14 ans ? C’est lui qui lui présente la mère maquerelle.
Vendre son corps, c’est quand même mieux que travailler à la mine, ou dans les champs ou sur le port. Finalement, au moins là, dans la sueur des nuits, on l’aime pour quelque chose.
Comme les autres filles elle espère que l’un d’eux la demande un jour en mariage, mais personne n’épouse jamais les femmes de petite vertu. On vient pourtant les voir, les étreindre et les posséder pour un instant, pas long, quelques minutes, rarement une heure, ça coûte trop cher.Baiser des bouches, toucher des sexes, écarter des cuisses, faire semblant d’aimer ça pour avoir un pourboire. Bien sûr que ça marche, les hommes, il faut les flatter ! Parfois elle aime ça c’est sûr, surtout quand le client est doux. Mais c’est rare, ce sont des hommes, pas des mauviettes, la douceur c’est pour les pédérastes. Et puis on a de la chance quand ils nous choisissent pour monter, parce qu’on ne vaut pas grande chose, presque rien, et ça, on le sait. Alors être choisie c’est déjà bien.
Les hommes ils ne touchent jamais leur épouse, sauf pour procréer comme dieu l’a ordonné, même les mains ils ne les touchent pas, pas de tendresse. Peu de gestes, et les enfants grandissent comme ça dans les maisons, à distance de tout, parce que le corps c’est impur, les sentiments c’est le démon et la femme porte entre ses cuisses le doigt du diable. Pourtant ils les désirent ces femmes et dès qu’ils peuvent ils dépensent trois sous pour une passe dans la maison close. Il n’y a pas que la maison qui soit close, il y a les cœurs surtout et les âmes aussi.
Filles de joie qu’on les appelle.
Filles de joie c’est joli, et ça rend service.
Guérisseuses des corps et des êtres.
Toucher les sexes, toucher les cœurs,
embrasser les lèvres, embrasser les âmes
Branler les verges, ébranler les certitudes
Sucer le mâle susurrer les mots
Pointer des seins et pointer du doigt Pleurer parfois.
Heureusement qu’elles sont là, les filles de joie.
Marjolaine Femme du Rêve
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