C’était le soir. Au bord de la terrasse. Le soleil se couchait et il y avait cette atmosphère que tu connais, chère au printemps. Quand le ciel s’adoucit et que les nuages corail s’illuminent de ce petit croissant de lune, bas sur l’horizon.
Les grenouilles commençaient quelques notes ici et là.
La nuit allait poser sa tendre couverture et permettre aux esprits de sortir bientôt.
La femme se balançait machinalement sur son rocking-chair en osier. Le même qui avait bercé sa mère et sa grand mère dans des temps plus anciens. Le même sur lequel elle avait bercé ses enfants. Bientôt il ferait nuit.
C’est alors qu’elle rêvassait à sa journée passée, aux cerises cueillies sur l’escabeau de bois, à l’herbe foulée par ses pieds, l’eau du ruisseau qu’elle aimait tellement caresser. Le repas du midi. Les crêpes avec Marie. Une vie tranquille.
Et il est apparu. Là. Maintenant.
Elle a d’abord cru qu’elle rêvait. Oh parfois oui, elle l avait bien entendu hurler au loin dans le bois. Mais jamais elle ne l’avait vu. Pourtant ce soir il s’est posé assez loin, face à elle.
En contrebas de la terrasse.
Il était là je te dis. Droit et fier. Sauvage alerte, presque effrayant. Presque dangereux.
C’était le loup.
Comme la femme n’a pas crié, le loup s’est approché. Pas à pas. Il la traquait. Comme elle l’a fixé, le loup est venu jusqu à elle. Et comme elle s’est offerte, le loup lui a mordu au cou.Et elle s’est laissée faire. Oui. Elle s’est laissée faire. Quelle jouissance je te dis! Quelle extase et quelle chance ! Être mordue par le loup.
Tu te dis que ça aurait pu être toi.
Comme elle le désirait la femme s’est transformée en Louve. Femelle, fauve, elle a lâché ses habits, ses sandales et son petit chapeau.
Alors elle l’a suivi. Sur ses quatre pattes apprivoisées en un instant de rêve. Elle l’a suivi dans le bois qui borde la maison. Incroyable. Presque irréel. Une liberté insoupçonnée. Et quelle joie, quel amour.
Ils ont couru. Elle a couru. Il la rattrapée et après lui avoir tourné autour, il l’a prise. Avec son animalité sauvage, avec son haleine fauve. Avec sa verge tendue de jeune mâle. Elle, dans son corps de Louve elle coulait. Ses pattes arrières et velues étaient trempées… Le petit ruisseau et la grande rivière coulaient de son ventre vers le sol. Le loup léchait.
Elle ne savait plus qui elle était. Femme ou femelle. Humaine ou animale. Probablement les deux. Qui saurait dire ?
Parfois des bribes du souvenir de sa vie lui revenaient. Et du souvenir de sa vie de femme-qui lui revenait entre deux râles- ne lui parvenait aucun assaut si délicieux.
Être Louve aux côtés du loup quelle extase. Imagine un peu. Imagine qu’il te morde. Imagine qu’il te mange. Imagine que ce soit lui. Le loup.
Quand le mâle l’eut remplie de sa semence douce, ils reprirent leur course.
Humer ici un animal. Se frotter là contre les troncs des chênes. Croiser de loin quelques sangliers. Goûter à l’eau sauvage et rapide. Sentir les brindilles sous leurs pattes. Renifler l’urine de la future proie. Et courir. Libre. Dans le bois. Cette nuit là.
Quand la nuit s’en fût allée, quand les oiseaux se sont mis à chanter les premières couleurs du jour, elle se retrouva là. Posée ici à côté du rocher. Celui qui surplombe la grotte où les enfants jouent parfois.
Elle regarda partout. Elle était apeurée. Un peu perdue. Qui était-elle ? Puis elle vit qu’elle était nue, qu’elle avait de nouveau ses seins. Ses mains de femmes, ses cheveux blonds et son sexe clair. Et comme elle cherchait des preuves elle vit de la terre sous ses ongles. De la salive séchée sur tout son corps et entre ses cuisses un liquide blanchâtre. Nue. Brute.
Presque droguée. Courbée. Un peu fébrile, elle reprit le chemin de chez elle. Elle retrouva sa terrasse. Son rocking-chair. Son chapeau sur le bois, ses habits jetés là.
Dans la petite maison tout le monde dormait encore. Très bien, elle n’aurait rien à raconter. Et c’est ainsi, secrète, silencieuse et féline, qu elle est entrée sans faire de bruit…
Marjolaine Femme du Rêve
Partages autorisés depuis ce site, pas de copier coller sans autorisation. Merci
Fabuleux… j’adore ta façon d’écrire. Je suis, contrairement à la tendance qui dit qu’un homme est plutôt traqueur (selon les voyants tolteques), un grand rêveur. J’ai moi même eu la visite du loup gris.
bonsoir Etienne, merci beaucoup pour ces encouragements, pour tout te dire je n’ai pas l’impression d’écrire ces textes mais plutôt de les saisir, de les capter et de les retranscrire, comme si ils s’appartenaient à eux mêmes et non à moi
Hommage au rêveur en toi 🙂
au plaisir d’échanger ici ou sur facebook 🙂
marjolaine