Je suis née en 1976…

Je suis née en 1976, dans la liberté de cette décennie. L’ époque d’avant le sida. Où beaucoup, comme mes parents, croyaient en la paix, l’amour et la liberté.
Nous n’avions pas beaucoup d’argent mais nous vivions dans la beauté, l’art et la magnificence du quotidien. Et puis notre table était modeste mais grande.

On avait souvent chez nous des boat people, des réfugiés, et tous les jours David un garçon de la Ddass.

Notre maison était ouverte sur le monde et sur les autres cultures. Quelles qu’elles soient.

Mon père adorait les fleurs, et le jardin en était rempli. Ses sculptures de bustes de femmes étaient comme des déesses posées ici et là. Notre maison était simple mais maman en faisait un palais. L’harmonie du beau régnait sur chaque jour.
En saison, nous mangions les tomates chaudes gorgées de soleil et les cerises de l arbre dans lequel nous allions à l’échelle.
Nous portions des jolies robes faites parfois dans les vieilles tenues de ma mère mais ces robes étaient belles.
Nous étions avec mes sœurs souvent croteuses, toujours pieds nus, et de nos rires vibraient les espaces, laissant les pièces pleines, même après notre départ.

Et puis la musique accompagnait le quotidien. Ma mère mettait le tourne disque. Le son très fort et nous dansions avec des foulards sur la pelouse. Et quand il pleuvait nous continuions la danse. Sur la musique du film Il était une fois dans l »ouest.Carmen, Jean Ferrat, Fabienne Thibault, Léo, et Brel et Brassens, des opéras.Des textes et des mélodies. De la poésie chantée ou engagée. ….

On a fêté Mitterrand en 1981. On a vu E.T au cinéma et plus tard on a dansé sur la Boom. Nous avions le droit de faire. Beaucoup. Déplacer les meubles de nos chambres, glisser avec un matelas dans les escaliers, nous déguiser et porter les talons. Peindre. Fabriquer. Inventer.
J’ai eu des grands moments de liberté.

A Noël mon père se déguisait avec sa hotte sur le dos et nous avions chacun un cadeau. Il y a avait aussi le sapin décoré de guirlandes clinquantes et la crèche provençale.
A pâques il y avait des petits oeufs cachés dans les pierres sèches et aussi une grosse poule a partager.
En mai j offrais des iris à ma maitresse. Je les cueillais contre la façade de la maison.
Nous rentrions a pieds de l’école par les chemins de la colline.

Mes parents avaient peu mais inventaient du « mieux » avec l’ordinaire, avec l’or des choses simples.

Nos chambres, la table, les tartes aux fruits et les soufflets au fromage…, la balançoire, le tuyau d arrosage qui nous éclaboussait en été. Papa et son potager…
Il fallait que tout soit joli, tout soit poème. Que tout soit chant.Il fallait qu’on ne se rende pas compte des soucis d’argent, et qu’avec un rien, on bâtisse nos rêves. Quand ça allait mal, maman chantait « La vie en rose », riait aux éclats et tout passait de cette façon. Papa déclamait des poèmes pendant que maman tricotait. Il lui offrait du mimosa. Nous on gloussait comme des dindons pendant les matchs des Verts que mes frères regardaient sur le poste en noir et blanc.

Les soirs d’été nous allions faire du vélo dans les chemins. Tard. Très tard. On entendait les crapauds chanter. On pédalait dans les sentiers de terre jusqu’à ce que la nuit arrive. Parfois je tombais. Mais toujours je continuais.
Quand nous revenions maman nous installait des matelas dehors et on dormait à la belle étoile.
Quel bonheur de se coucher sous ce ciel pur du Lubéron et de sentir la rosée dès les premières heures du jour.
Les samedis, maman nous faisait des sandwichs et nous partions seules à pieds jusque sur la colline. Arborée de chênes verts, de chênes liège et de figuiers, nous mangions perchées sur les branches des arbres qui étaient alors nos navettes spatiales. Quelle douceur de s’imaginer voyager dans l’espace ! Et puis ces odeurs d’herbes sèches. De thym, de serpolet et de romarin.
C’est là que j’ai grandi.
Nous faisions du patin à roulettes avec des coussins attachés derrière nos fesses ! On écrasait des minuscules araignées rouges et on s’en frottait les genoux.
Parfois on allait se baigner chez Maurice. Et on restait dans l’eau chaude pendant que la pluie d été nettoyait nos visages. Ça sentait le cyprès et la fraîcheur des jours, à l’ombre des grands arbres.

C’était l’époque du super 8. Des films de famille muet où l on voit des enfants courir, une jolie maman et un papa aimant.
C’était aussi l’époque de Donkey Kong, des vélos à roulettes et des talkie-walkie walkies.

Pendant les vacances, on partait faire du camping sauvage dans la Vallouise. On se baignait dans les rivières glacées. On faisait des feux le soir et on se promenait dans les bois. Le dernier jour c’était ramassage de myrtilles. Il fallait remplir les sceaux pour au retour faire des tartes et des confitures.

Mon enfance était aussi bercée par mes questionnements. Ma relation à l’invisible et aux rêves. Les esprits que je voyais et les pensées que je devinais. Et quand je questionnais, vers 4 ans ma mère sur l’existence de dieu elle me répondait : dieu est en chaque chose. Chaque fleur, chaque cailloux, chaque arbre. Ma fille, regarde dieu est partout. Il est la terre et il est toi.

Merci maman d avoir semé en moi les graines de l’ouverture et du respect du vivant. De m’avoir transmis ta foi et ta force.Je me souviens de regarder la lune dans le ciel.
Entre chien et loup. Cela reste, avec l’aube, mon moment préféré.
Ces instants entre deux. Quand jour et nuit se mêlent et qu’ils font cet amour d’où naissent les étoiles. Une puis deux. Deux puis trois. Trois et puis la voie lactée. …

C’était l’époque bénie de mon enfance.

Et quand je relis ce texte je me dis que j’ai eu de la chance de naître parmi des artistes généreux qui avaient suffisamment de folie pour nous épargner les soucis d’argent et faire de notre quotidien un temps suspendu, où l’amour, la poésie, la musique et la joie rythmaient le temps.
Je rends hommage à cet homme et cette femme qui m’ont mis au monde dans un acte d’amour.Je rends hommage à leurs forces et à leurs faiblesses. Eux qui m’ont permis l incarnation. Eux qui ont façonné ma vie. Et m’ont permis d’être qui je suis.

Un jour on ne voit plus ses parents comme des parents mais comme deux humains qui ont fait de leur mieux.
Ce jour là on peut dire : Papa maman. Merci.
Papa maman, je vous aime.
Et ce jour là, quand il arrive, nous sommes alors guéris d’un grand nombre de choses.

Marjolaine Femme du Rêve
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