Nuit de Sorcière au paradis

Les enfants étaient chez la vieille femme depuis une semaine, quand le fameux soir est arrivé.
Elle leur a dit : allez au grenier, ouvrez la malle et revêtez ce que vous voulez ! Surtout soyez affreux !!
Les enfants sont montés en criant : ce soir ce serait fête.
Enfin ils sont redescendus. La fille portait une longue jupe noire. Trop grande mais qu’importe. Une tunique sombre et un chapeau rouge. Elle avait dessiné sur ses joues du sang qui coule et avait mis des dents de vampire. Son petit frère plus grotesque encore, hurlait dans les escaliers comme un loup affamé. Il fallait faire beaucoup de bruit.
Alors la grand mère a mis des marrons dans ses poches. Des gros marrons durs et luisant. Une grande fourche dans la main gauche, un gros carillon dans la droite.Il faisait nuit et la lune éclairait les chemins.

La vieille qui est sorcière s’est mise à adopter des voix atroces. A raconter des histoires de maisons hantées. De granges où les chèvres étaient égorgées l’une après l’autre. Et le pré où madame Carle a poussé son mari et son âne du haut d’une falaise. Les enfants étaient aussi excités qu’effrayés…
Ils en redemandaient. Elle leur faisait peur et ils adoraient.
Chemin faisant ils sont arrivés chez le vieux au fond du hameau. Il les a entendu de loin car le carillon faisait plus de bruit que 100 cloches de village.Il est sorti de sa pauvre maison.

Dans le sombre de la nuit, ses deux mètres de haut et ses cheveux longs ne disaient rien qui vaille. La grand mère a jeté des marrons sur l’homme qui a ri d’une voix ténébreuse.Les enfants ont tenté de lui mettre un coup de pied. Alors il leur a donné des bonbons.
« Mais attention les enfants, la nuit je deviens ogre. Ne laissez aucun orteil dépasser de votre lit ! Sinon je viens vous manger et je vous mets là ».
Et il désigna un vieux four à pain encore chaud du matin.
Les enfants se sont enfuis sans même dire merci, ils avaient trop peur. Et la vieille leur a couru après.

Dans le petit chemin boueux, les vaches sous leurs cloches regardaient paisiblement le spectacle. Elles continuaient à brouter sous la lune. Peu de chance de les arrêter.
Sous le gros marronnier la grand mère a interpellé les enfants. » Arrêtez-vous ! Et venez près de moi. Répétez : oh esprits des bois! Elfes, farfadets, donnez-nous votre lumière. »
Elle scandait ses incantations que les enfants répétaient en ricanant. Ils y croyaient sans y croire. Trop peureux de voir des apparitions.

Ce petit chemin de rien du tout n’avait jamais porté aussi bruyant spectacle.
Ni plus joyeux. Ni plus heureux d’ailleurs.


C’était nuit de Samhain, il fallait réveiller les esprits et se faire entendre.
Puis ils sont passés devant la croix du Christ. La même qui borde tous les croisements des routes reculées. La femme, qui est pieuse, s’est prosternée. De façon tout à fait spectaculaire. Elle s’est agenouillée. C’était drôle et inquiétant. Genoux à terre. Fourche à la main telle un bâton de pèlerin. « Petit, prends le carillon ! « .
Alors elle a écarté les bras. La fourche en l’air. « Oh seigneur Jésus. Toi qui es venu porter la paix entre les hommes !…….. »Et ben regarde ! Ça n’a pas fonctionné ! Pauvre Jésus ! « 
Et elle a éclaté de rire. Autant le dire, elle était folle.

Bien sûr les enfants ont voulu aller au cimetière.
Tous trois ont fait grincer la petite porte en fer forgé. La petite église, trop grande pour ce petit hameau, veillait sur eux. Les enfants courraient entre les tombes. Et ne savaient pas si il fallait se taire ou au contraire se faire entendre.

Dès que la vieille est sortie ils l’ont suivie. Ils ne seraient restés là pour rien au monde.
Elle a cherché à les semer. Mais comme ils sont malins ils l’ont rattrapée.

Ils ont fini par tous se donner la main et sont rentrés à la ferme.
Là elle leur a donné à chacun un petit sac brodé de leur prénom. Elle les avait cousus la veille. Ils ont fouillé le jardin et ont déniché sucettes et bonbons qui collent.
Gâteaux crêpes et sirop de coing. Puis ils ont éclairé chacune des citrouilles de bougies blanches. Ils ont mis de la musique très fort. Ils ont dansé le rock, la valse et mêmes sur du Bobby Lapointe.
Parfois le disque était rayé. Pas grave, on dansait. Pieds nus sur terre. Sous la lune.

Minuit est enfin arrivé. Il fallait se coucher.
Éclairé d’une lampiote ils sont tous trois montés. Arrivés dans leur lit les enfants ont hurlé. Elle avait caché sous la couette une énorme araignée. Elle a ri c’était si drôle ! alors, ils ont souri…
Nuit de Sorcière au paradis.

Je rends hommage à ma maman pour faire vivre à mes enfants des nuits fabuleuses comme celle que j’ai décrite ici, et tant d’autres aussi.

Marjolaine Femme du Rêve
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