On m’appelle Plume d’Argent

On m’appelle Plume d’Argent, j’ai 16 ans. 17 ans peut-être.
Mon nom vient de cette plume immortalisée sous la glace, que mon père à trouvé le jour de ma naissance.

Je suis l’aînée de 5 enfants. J’aide ma mère à prendre soin des petits, préparer les repas pour les hommes, coudre les peaux, monter les tipis, cueillir les plantes, surveiller les provisions d’eau.
Ma mère est une femme silencieuse.
Avec elle, j’écoute les sons de la nuit, je respecte la sagesse des anciens, je découvre les plantes et j’interprète les rêves.

De cette vie, j’ai beaucoup appris.

Mon père est le sage de la communauté. Il est aimé pour sa bonté et pour sa connaissance.
C’est un homme juste et droit, de cette droiture qui force le respect. Il marquera ma vie. Profondément.

On m’appelle Plume d’Argent.
J’ai 16 ans, 17 ans peut-être. Je viens de cette terre, aux pieds de la montagne. Cette terre qui nous accueille et qui nous aime.
Nos tipis se déplacent pour suivre les bisons.
Nous vivons en paix.


C’est la nuit. Tu es là. Pour le rassemblement des clans. Pour trois jours, tu es venu de loin.
Et les tambours qui chantent, et les tambours qui vibrent sous la nuit étoilée. Tout est simple.

Je te regarde. Assis. De l’autre coté du feu. Tu as le torse nu et des colliers ornent ton cou épais.
Le petit garçon, avec lequel j’ai joué quelques fois, est devenu un homme.
Je suis presque timide, il y a cet attrait que je ne connais pas.
Mon père qui est là, assis, calme, respecte la magie de l’instant.
On m’appelle Plume d’Argent, et cette nuit là, face à ce feu, sous le son lent des tambours, mon cœur s’est déployé.
Plus tard, allongée sur mon tapis, l’image de ton visage me hante. Tes yeux noirs, ton corps et ton énergie, tout me tient en éveil. Il y a dans mon ventre le rythme de terre-mère, qui vibre tel un battement de coeur. La nuit sera sans sommeil pour moi.

On m’appelle Plume d’Argent. J’ai 16 ans. 17 ans peut-être.
Il fait jour maintenant.
Je vais à la rivière pour prendre de l’eau. Et j’espère que tu seras là. Au bord de la rive je sens ta présence derrière moi. Mon cœur s’emballe. Et tu t’approches.
Il y a cette danse, comme deux animaux sauvages, cette valse maladroite. Et ce temps qui s’arrête. Ce temps qui s’étend pour accueillir la mélodie des cœurs.

Je me déplace et tu me suis.
Un pas en arrière et tu bondis.

Et cet arbre sur lequel je m’appuie. Recherchant son aide, dans ce moment que je ne connais pas.
Puis tu attrapes ma bouche. Tout s’accélère, et je ressens pour la première fois ton corps d’homme.
Il y aura les mouvements.
Quand on ne veut pas que cela s’arrête.
Ces mouvements créateurs. Ce plaisir nouveau, et la jouissance.
Il y aura ton souffle chaud sur ma peau et nos sueurs qui se mêlent.
Il y aura l’unité et l’amour.
Nous resterons là des heures, blottis, à contempler la rivière, sans un mot.


On t’appelle Pierre Tranchante le Matin.
Ce nom t’a été donné il y a deux hivers. Grâce à un exploit de chasse.
Le moment où le bison approche et que, plein de courage, tu te lances.
Grâce à toi, ta communauté aura de quoi survivre quelques temps.

On t’appelle Pierre Tranchante le Matin et tu ne repartiras plus. Mon clan deviendra le tien.


Le temps filera sa douce mélodie.
Sur ces terres vierges qui nous aiment.
La vie creusera ses rivières sur nos fronts.
Nos mains se coloreront d’avoir tant pris soin.

Tu seras celui qui chante le soir auprès du feu.
Tu seras celui que les enfants écoutent, celui qui guide et qui aime.
Je serai celle que l’on vient voir au matin pour les rêves.
Grâce aux rêves de la communauté nous saurons où aller chasser, quel esprit nous viendra en aide ou comment apaiser un cœur qui souffre.

Il y aura le partage des rêves dans le grand tipi blanc à chaque nouvelle Lune. Cérémonie.

Pas de grands exploits, rien d’extraordinaire.
Une vie simple.
Nous aurons 6 enfants, certains mourront, d’autres survivront.
Il y aura des peines, et il y aura des joies et toujours la droiture. A chaque instant.
Je t’aimerai chaque jour de ma vie. Je serai là, à tes cotés. Jusqu’à ce dernier souffle que j’accompagnerai d’un chant mélancolique.

Et cette fleur que je poserai sur ta bouche.


On m’appelle Plume d’Argent et de cette vie je me souviens.
Certains chants me traversent encore et en corps, défiant les lois de l’espace temps.

On m’appelle Plume d’Argent, j’ai 16 ans. 17 ans peut-être.
Et de cette vie….. Je me souviens.

Marjolaine Femme du Rêve
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Ils m’ont brûlée comme sorcière.

Ils ont crié « Maudite ! » « Va brûler en enfer! »
Ils m’ont craché dessus. Ils m’ont frappée. Ils ont arraché mes vêtements. Ils m’ont entièrement rasée. Ils m’ont écartelée trois jours entiers. Ils ont cherché des tâches sur mon corps. Les grains de beauté que j’avais : preuve de mon appartenance au démon. Même les jeunes enfants m’ont jeté des pierres. Leurs mères me tuaient du regard.
Les prêtres m’ont aspergée d’eau bénite. Ils m’ont ordonnée de baiser leur crucifix pour racheter mes fautes.

Après maintes tortures, ils m’ont placée sur le bûcher.
Par chance, la fumée m’a vite étourdie, alors ma vie à défilé devant moi.
Et, je me suis souvenue de chaque instant.

Si je devais la refaire, cette vie, pour échapper à cette mort atroce, je ne changerais rien.

Je suis née dans ce petit village vers le fleuve du Rhône en Royaume de France.
Je vis avec ma mère et ma sœur.
Je ne sais pas qui est mon père. Probablement un du village, ou un homme de passage.
On vit à l’écart parce qu’on n’a pas le sous.
Je ne sais ni lire ni écrire. Je porte un tablier taché par les heures de labeur, et refuse d’attacher mes cheveux. Alors ils volent au vent et je sais que ça dérange, comme mes pieds nus blessés par mes mauvais sabots.

Ma mère est solide. Elle coupe son bois, tue ses chèvres pour nous nourrir et soulève parfois son jupon contre 2 livres de farine.
La vie est rude.
Souvent, elle part seule.

A l’automne on cueille des champignons, ceux là même réputés pour leur malheur de mort. Nous on les fait sécher.
Il y a la fée en eux. On le sait.

Au village ils font tomber mes œufs ou se moquent de mes guenilles.
Je ramasse des coups. Alors j’ai appris à me cacher, je suis sauvage.
Et comme je suis jolie, les hommes me regardent et les femmes me maudissent.

Il arrive que, moi aussi, je remonte mon tablier contre un pot de beurre.
Il y en a un que j’aime mieux que les autres, et avec qui j’ai de la joie. C’est le fils du forgeron. Il est doux avec moi, mais il va prendre la Pauline en mariage. C’est ainsi et je l’accepte…

Parfois des femmes viennent nous voir pour faire passer l’enfant qu’elles portent.
Alors on leur donne à boire des décoctions ou bien ma mère leur met des pointes dans le ventre.
Toujours en cachette on vient nous demander des philtres d’amour. Elles savent qu’on fabrique des charmes.
Ce savoir des plantes nous vient de nos grands-mères.
Personne n’avoue avoir recours aux trois folles qui vivent dans le bois, et pourtant…

Et puis il y a les soirs de pleine lune où, au fond de la forêt, nous partons toutes les trois. Autour d’un grand feu nous chantons et dansons. Je ne peux pas vous dire tout ce que nous faisons. -Je l’ai juré devant elles, de ne jamais révéler nos secrets-.
Mais ce que nous faisons, nous donne grande magie.

Au village, ils disent que nous fricotons avec le grand Cornu et que nous volons sur nos balais de sureau. Il est vrai que nous possédons ce don de voyager en dehors de nos corps, et que cela nous offre mille possibilités.
Mais nous ne propageons pas le malheur, ça je le jure !

La vie est ainsi, entière et rugueuse, sans pitié mais libre.

Et puis, hier soir, les juges de l’inquisition sont arrivés au village.
Dans la nuit, avec les villageois, ils sont venus me chercher. Ils ont fait irruption dans ma cabane qu’ils ont brûlée avec leurs torches. Ma mère et ma soeur sont mortes depuis longtemps. Grand bien qu’elles n’aient pas à subir elles aussi ce malheur !
Ils sont venus nombreux pour moi.

Quelque part je les attendais.
On n’échappe pas à sa vie, encore moins à sa mort.

Je n’ai pas eu de procès, que des accusations.
Il paraît que je mange des enfants, que je pactise avec le diable et que je porte malheur. Tout cela est faux je le promets. Mon seul tort est d’avoir honoré les dieux de la nature, et d’avoir vécu sans mari.

Ils m’ont brûlée comme sorcière.
Moi qui n’avais rien demandé.
Ils ont crié « Maudite ! » « Va brûler en enfer! »
Ils ont hurlé. Ils ont frappé.

Ils ont jeté sur moi tous leurs malheurs. Les mauvaises récoltes, la sécheresse passée….

Et je suis morte comme ça.
Seule sur ce bûcher.
Il pleuvait un peu ce jour là….


Je revois encore mes cendres monter au ciel et se mélanger avec la pluie. Cette pluie fine que j’aimais tellement, sous laquelle je courais enfant, nue dans ma clairière.
J’ai regardé une dernière fois ce petit village qui m’avait tant rejetée, à cause de ma liberté. Liberté qui a causé ma mort.

J’ai attendu que la pluie s’arrête, pour la regarder une dernière fois, enrober ma chère forêt. Puis, j’ai décidé de m’en aller, je ne voulais pas les hanter.
Je voulais juste repartir là d’où je venais, sous d’autre cieux, loin de l’enfer qu’ils me prédisaient.

Ils m’ont brûlée comme sorcière,
Une pluie fine tombait ce jour là,
et de cette vie, je me souviens….


De ces grains de beauté je garde toujours, parsemés sur mon visage, comme marque indélébile de ce passage sur Terre,
en temps d’inquisition.

De ce prénom de Plante sauvage que l’on m’a donné dans cette vie, comme marque indélébile de ce passage sur Terre,
en temps d’inquisition.

Nos présents sont porteurs de toutes nos mémoires. Regarde bien en toi et tu découvriras, viens, et apprends à te souvenir…

Ils m’ont brûlée comme sorcière,
Une pluie fine tombait ce jour là,
et de cette vie, je me souviens….


En hommage à la Grande Mère
En hommage au Clan des Rêveuses
Rappelle-toi de te souvenir
Souviens toi de te rappeler
La promesse que tu t’es donnée…

Marjolaine Femme du Rêve
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Légende de la femme et du loup…

C’était le soir. Au bord de la terrasse. Le soleil se couchait et il y avait cette atmosphère que tu connais, chère au printemps. Quand le ciel s’adoucit et que les nuages corail s’illuminent de ce petit croissant de lune, bas sur l’horizon.
Les grenouilles commençaient quelques notes ici et là.
La nuit allait poser sa tendre couverture et permettre aux esprits de sortir bientôt.

La femme se balançait machinalement sur son rocking-chair en osier. Le même qui avait bercé sa mère et sa grand mère dans des temps plus anciens. Le même sur lequel elle avait bercé ses enfants. Bientôt il ferait nuit.

C’est alors qu’elle rêvassait à sa journée passée, aux cerises cueillies sur l’escabeau de bois, à l’herbe foulée par ses pieds, l’eau du ruisseau qu’elle aimait tellement caresser. Le repas du midi. Les crêpes avec Marie. Une vie tranquille.

Et il est apparu. Là. Maintenant.
Elle a d’abord cru qu’elle rêvait. Oh parfois oui, elle l avait bien entendu hurler au loin dans le bois. Mais jamais elle ne l’avait vu. Pourtant ce soir il s’est posé assez loin, face à elle.
En contrebas de la terrasse.
Il était là je te dis. Droit et fier. Sauvage alerte, presque effrayant. Presque dangereux.

C’était le loup.
Comme la femme n’a pas crié, le loup s’est approché. Pas à pas. Il la traquait. Comme elle l’a fixé, le loup est venu jusqu à elle. Et comme elle s’est offerte, le loup lui a mordu au cou.Et elle s’est laissée faire. Oui. Elle s’est laissée faire. Quelle jouissance je te dis! Quelle extase et quelle chance ! Être mordue par le loup.
Tu te dis que ça aurait pu être toi.
Comme elle le désirait la femme s’est transformée en Louve. Femelle, fauve, elle a lâché ses habits, ses sandales et son petit chapeau.

Alors elle l’a suivi. Sur ses quatre pattes apprivoisées en un instant de rêve. Elle l’a suivi dans le bois qui borde la maison. Incroyable. Presque irréel. Une liberté insoupçonnée. Et quelle joie, quel amour.
Ils ont couru. Elle a couru. Il la rattrapée et après lui avoir tourné autour, il l’a prise. Avec son animalité sauvage, avec son haleine fauve. Avec sa verge tendue de jeune mâle. Elle, dans son corps de Louve elle coulait. Ses pattes arrières et velues étaient trempées… Le petit ruisseau et la grande rivière coulaient de son ventre vers le sol. Le loup léchait.

Elle ne savait plus qui elle était. Femme ou femelle. Humaine ou animale. Probablement les deux. Qui saurait dire ?

Parfois des bribes du souvenir de sa vie lui revenaient. Et du souvenir de sa vie de femme-qui lui revenait entre deux râles- ne lui parvenait aucun assaut si délicieux.
Être Louve aux côtés du loup quelle extase. Imagine un peu. Imagine qu’il te morde. Imagine qu’il te mange. Imagine que ce soit lui. Le loup.

Quand le mâle l’eut remplie de sa semence douce, ils reprirent leur course.
Humer ici un animal. Se frotter là contre les troncs des chênes. Croiser de loin quelques sangliers. Goûter à l’eau sauvage et rapide. Sentir les brindilles sous leurs pattes. Renifler l’urine de la future proie. Et courir. Libre. Dans le bois. Cette nuit là.

Quand la nuit s’en fût allée, quand les oiseaux se sont mis à chanter les premières couleurs du jour, elle se retrouva là. Posée ici à côté du rocher. Celui qui surplombe la grotte où les enfants jouent parfois.
Elle regarda partout. Elle était apeurée. Un peu perdue. Qui était-elle ? Puis elle vit qu’elle était nue, qu’elle avait de nouveau ses seins. Ses mains de femmes, ses cheveux blonds et son sexe clair. Et comme elle cherchait des preuves elle vit de la terre sous ses ongles. De la salive séchée sur tout son corps et entre ses cuisses un liquide blanchâtre. Nue. Brute.

Presque droguée. Courbée. Un peu fébrile, elle reprit le chemin de chez elle. Elle retrouva sa terrasse. Son rocking-chair. Son chapeau sur le bois, ses habits jetés là.
Dans la petite maison tout le monde dormait encore. Très bien, elle n’aurait rien à raconter. Et c’est ainsi, secrète, silencieuse et féline, qu elle est entrée sans faire de bruit

Marjolaine Femme du Rêve
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Et dans l’espace sacré du temple de la Déesse…

« Et dans l’espace sacré du temple de la Déesse, ils sont entrés dans des transes hypnotiques. Et de cette Vie… je me souviens. »

Je suis née sur une petite île rocailleuse et sèche, que vous appelez aujourd’hui « Malte ». De ce passage sur Terre, j’ai gardé quelques souvenirs. Certaines images fortes me reviennent parfois, au lever du sommeil, comme rappel ineffable de ce que fut un jour, ma Vie.Ma mère est une fervente adoratrice. Elle porte, comme toutes les femmes, des tenues claires et longues et se coiffe en chignon. Elle va, comme tout le monde, régulièrement au temple déposer ses offrandes. Nous partageons tous la même foi. Paysans, pêcheurs, marchands et même esclaves. Personne ne remet en question nos croyances. Nous sommes tous entièrement consacrés à servir Celle qui nous permet l’existence.

LA DÉESSE.

Déesse large et ronde et généreuse.Déesse qui donne la Vie et qui la reprend. Déesse sublime et toute puissante. On l’adore pour son abondance, on la craint pour ses sècheresses. On l’adule pour les enfants qu’elle donne, on la pleure pour ceux qu’elle nous retire. Elle fait vrombir la mer et provoque les tempêtes. La prochaine fois nous lui ferons plus d’offrandes. Une chèvre ? Espérons que cela l’apaise. Nous prierons toute la nuit pour obtenir sa mansuétude ! Oh Déesse, entend notre demande… Aie pitié de nous, donne nous des poissons et fait murir les fruits et par pitié, épargne nos hommes sur tes eaux de Vie !

Comme souvent, ce jour là, je suis allée dans l’espace sacré avec ma mère.
Rituel quotidien pour nous qui avons la chance de vivre aux abords. Nous avons touché l’eau qui sort du sol, nous sommes mouillées tout le corps, pour en tirer purification, et demander clémence sur notre maisonnée.Nous avons caressé les Pierre sacrées, et les arbres bénis. Nous sommes allées offrir du miel et des macéras de fleurs aux Femmes. Aux gardiennes de ce lieu. Les Vierges. Les Prêtresses.Je suis là. Je cours et ri auprès d’elles, dans l’innocence de cette enfance qui fût pour moi bien trop courte. Tout à coup, le temps s’arrête. Je stoppe ma course, je sens des choses inhabituelles. Les regards qui s’échangent. Quelques paroles aussi. Même mise à l’écart, je ressens la gravité de l’instant. Marqué à jamais en moi. Cet instant où l’une des gardiennes parle à ma mère de façon dérobée. Pour ne pas que j’entende. Cela dure de nombreuses minutes. Éternelles.

On m’informe à demi-mot de la nouvelle le soir même. Sans explication. On me dit que je suis choisie pour être consacrée. Que dorénavant je vivrai au Temple où je serai élevée pour La représenter.A partir de cet instant je n’ai plus été une enfant, mais une Servante de la Déesse. J’ai perdu la liberté de cette vie pour gagner autre chose. Bien sûr, j’ai peur. Bien sûr, je ne veux pas quitter ma maison. Mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque où la plus belle des choses était d’être choisie par Elle. J’ai grandi avec ça. Pas d’instruction, pas d’école, pas d’ouverture au monde. Seules les visites au temple comme unique voie possible. Je suis résignée, et heureuse de faire plaisir à ma mère.

Je ne sais pas ce qui m’attend et surtout je ne peux pas l’imaginer…
Aucune enfant ne le pourrait….Lorsque la Lune fut noire, j’ai quitté ma famille définitivement pour prendre mon service.J’étais toute jeune. Probablement 7 ou 8 ans.Je revois encore celle qui était ma mère, pleurant de joie et de fierté, ne pas hésiter une seconde à se séparer de sa fille unique. Que je sois choisie pour intégrer le Temple des Vierges, était pour elle la meilleure destinée.C’est son vœux qui a été entendu ce jour là, peu importe que je m’en aille. Sa foi a eu raison de mon enfance. Je revois encore ce petit tissu beige dans lequel elle a enveloppé une robe de bure et un bandeau de corde pour mes cheveux, cachant par là-même, une poignée d’amandes, dernier geste de son amour.

Je n’ai rien eu le droit d’emporter d’autre.
Laissant derrière moi ce qui avait été ma vie, mon univers, ces quelques années de petite fille. Mon père et ma mère. Ceux là mêmes qui deviendraient pour moi de simples visiteurs quand je le croiserai plus tard dans l’espace sacré. Je n’ai rien emporté, ni ce petit caillou bleu que j’avais ramassé au bord d’une falaise, ni même les plumes de chouettes que mon père m’avait offertes. Rien. Tout est resté sur place, dans cette petite maison qui fût pendant 8 ans mon si bel univers. Et les chiens que j’aimais tant. Je suis partie sans un adieu.

On quitte parfois les êtres chers, sans un mot, sans une caresse. Une part de nous reste alors à jamais près d’eux. Deuil non abouti, hologramme en surimpression sur ce plan de réalité. Vous appelez cela… des fantômes.

Il faut alors accumuler beaucoup d’énergie pour récupérer toutes nos parts, et la Mémoire est en cela la meilleure des alliés. Souviens toi de te rappeler de ça…. Sans plus attendre j’ai été transportée au Temple sur un âne.Je ne devais plus toucher le sol en dehors de l’espace Saint. On garde une vision idéalisée de l’époque où la Déesse était honorée. Mais quand il faut, jeune enfant, quitter père et mère pour intégrer, seule, ce lieu, certes emprunt de beauté, mais aussi de froideur et d’humidité, je peux vous dire que c’est chose difficile.A mon arrivé, certaines Vierges étaient en cercle. Oh qu’elles étaient belles ! Leurs longs cheveux noués, leurs corps fins et légers, et ces fleurs posés sur les têtes… Et, dans cette extrême beauté, flottait une extrême rigueur. J’ai vite compris que les amusements étaient finis pour moi. Que ma propre personne serait à oublier.

Se consacrer à la Déesse c’est vivre un sacrifice humain, tout en gardant la vie.
Du moins une forme de Vie.On me coiffait, on m’habillait, on m’apportait mes repas et surtout on me droguait.Il fallait que je sois bientôt capable de prédire l’avenir et de rester impassible devant l’exaltation ou la douleur des gens qui viendraient chercher guérison ou bénédiction. Alors, chaque matin, on me donne à boire des mélanges de plantes d’une atroce amertume. De celles qui font tourner la tête et vous donnent envie de vomir. Mon aversion actuelle pour cette saveur me vient probablement de là. Alors ma tête tourne, et ma conscience s’envole parfois vers la Déesse, ou tout autre esprit qui nous accompagne. Ce n’est pas une prouesse ni même une fierté, c’est seulement Une Vie. Une Vie entre deux mondes. Une place rêvée de toutes. Et pourtant, tant de sacrifices…
Et chaque soir le même rituel, on me fait respirer des fumigations.
Au matin on me demande de détailler mes rêves. De quel couleur était l’animal ? Que t’a-t-on raconté dans la grotte aux corbeaux ? Quel chemin as-tu emprunté ? As-tu vu la Déesse ? L’enfant dans ses bras était-t-il fille ou garçon ?Tout est interprété comme des messages venant d’Elle.
Messages adressés parfois aux Vierges, parfois aux visiteurs de passage.

Je n’ai pas eu le droit une seule fois de me plaindre, encore moins de pleurer, ni même de rire. J’ai du devenir froide et droite et pure et humble. Finalement inhumaine, pour que la Déesse puisse s’exprimer à travers ma jeune bouche.

Quatre fois l’an, en lien aux solstices et aux équinoxes, il y a de grands rassemblements
.
Les gens viennent de toute l’île pour se joindre à nous. Certains viennent de l’île voisine. Autant dire que c’est un grand voyage. Pendant plusieurs jours ils festoient, se baignent dans nos fontaines et écoutent l’oracle. Leurs paniers sont remplis de vivres, certains pour la Déesse elle-même et d’autres pour les Vierges. Des fleurs, des amphores pleines d’huiles, des pots d’abricots et des chèvres par centaines, rarement un bœuf, de nombreux poissons séchés, des poulpes et des pots de graisse. Oh que je les envie, ces fillettes jolies qui courent pieds nus sur la terre, oh que j’aimerais moi aussi partir pêcher avec mon père et confectionner des choses avec ma mère. Mais tout cela est fini, je le sais. Et puis…, de cela je me souviens très bien.

La fête qui a suivi mes premiers saignements.
Après plusieurs semaines de longues préparations, est advenu ce qui devait. Le matin même, j’ai été totalement couverte d’une sorte d’onguent couleur bronze. Un onguent de graisse et de cire, mélangé à des plantes magiques. -L’hélychrisum fait partie de la composition et reste encore aujourd’hui une alliée aux mille pouvoirs- Nue, de la tête aux pieds, recouverte en entier. Seuls mes yeux et ma bouche sont restés intacts. Mais le reste du corps a été totalement couvert de cette pâte odorante. J’ai en image une statue mordorée. Frêle et immobile. Il faut y arriver à ne pas bouger alors que l’onguent colle et commence bientôt à sécher puis craqueler. Il faut savoir que cela gratte partout le corps. Cela fourmille de l’intérieur. Un vrai supplice. Jeune fille, surtout ne bouge pas. Surtout ne dis rien. Et si tu croises ta mère, ne la regarde pas. Ni elle, ni personne. Sois immobile, sois impassible. Sois Elle.

Les prêtresses m’ont alors posée sur un siège en hauteur. J’ai été baladée ainsi dans tout ce dédale. Une vrai petite ville.Au passage du cortège il y a eu des prosternations et des évanouissements. Les gens veulent me toucher, ils me présentent des enfants, tendus à bout de bras, ils pleurent et réclament un regard. Je ne dois pas bouger. Ils proclament, ils crient. Se bousculent. Je ne dois pas bouger. Il y a la foule et beaucoup de bruit. Des marchands promènent leurs poissons sur des charrettes, des mendiants ramassent la galette tombée là, des esclaves suivent leurs maîtres, les riches sont joliment vêtus, et toutes sortes de vies encore. Des fleurs partout. Des odeurs partout. Je te laisse imaginer. Ici, dans l’espace sacré du temple, je ne dois pas bouger.Puis à la nuit tombée, je suis posée là.Dans cette pièce de pierres grises où seul trône encore en son centre, un immense réceptacle qui accueille le feu.

Si tu vas à Malte un jour, tu pourras te promener en ce lieu, dont il reste quelques vestiges.
A l’époque dont je te parle, tout était sublime. De nombreuses maisons, des escaliers, des murs décorés, des foyers pour les flammes, des fontaines pour l’eau, des places pour le marché. Vie locale et sacrée se côtoient en permanence. Alors, sur cet autel qui fait face à ce feu, à moitié consciente et totalement immobile, les visiteurs sont venus à moi. Un à un et ils ont décollé de ma peau des morceaux de la pâte qui avait durcie. Et ils l’ont mis en bouche. J’ai eu l’impression qu’ils mangeaient ma chair. Ils sont entrés alors dans des transes hypnotiques. Et le bruit fort des chants et des cris résonne encore en mon âme.Il y a les chants de femmes qui retentissent au loin, et tous ces cris proches de mes oreilles. Il y a des hommes qui embrassent des femmes et des femmes nues qui dansent. Et des danses qui se transforment en prières. Et des prières en cris. Et des cris en joie. Cris de Feu. Cris de l’Âme.

Les prêtresses distribuent des breuvages aux pèlerins.
Des enfants partout. Des masques aussi. Et des accoutrements que vous trouveriez grotesques et qui expulsent le démon. Ils sont tous en transe, je te dis.Il y a tout ce mélange sous « mes » yeux. Sous les yeux de la Déesse qui se réjouit de voir la jouissance.Une fête de Vie, une fête de Joie, une fête de Terre. Une fête, à laquelle j’assiste sans broncher.Femme Servante je suis. Ainsi est ma vie.Viennent alors en cascade, encore aujourd’hui – quand la mémoire refait surface- tous ces visages qui défilent, les uns après les autres. Des visages grimaçants, saugrenus, hilares. Des visages suppliants, menaçants, moqueurs ou implorants. Des visages qui défilent et des flammes derrière. Des visages par centaines qui arrivent à mes yeux et donnent le tournis. Et puis, plus rien.Je ne me souviens pas du reste. Je pense que les drogues qu’elles m’ont fait ingérer dès le plus jeune âge ont eu raison de ma mémoire.
Ce que je sais en revanche, c’est que le jour du grand voyage de cette vie-là, je me suis retrouvée dans une version astrale de ce Temple. Et il m’a fallu beaucoup de temps et d’énergie pour réaliser que ce que je prenais pour un « paradis », n’était qu’une construction de mon esprit, une autre hallucination, et qu’il me faudrait beaucoup de patience pour me défaire de mes croyances et continuer, plus libre alors, ce grand voyage dans le Grand Rêve.

J’ai d’ailleurs fait le choix de retourner vivre de nombreuses fois sur ces îles de méditerranée. Tantôt l’une et tantôt l’autre. Tantôt homme, tantôt femme, mais toujours les mêmes rites. Petites îles, petits cailloux que je visite encore aujourd’hui. Et qui me ravissent le cœur. Ces îles qui m’offrent le pouvoir et la possibilité de réactiver en moi des Mémoires de Vie. On ne quitte pas ses croyances comme ça, ni les lieux, ni les temps, ni les êtres. Pense-y. On peut faire le choix d’y revenir, autant de fois que nécessaire, jusqu’à la transcendance…. de ce que furent nos Vie.
Mais là, résonnent encore, d’autres Histoires….
Je suis née sur une petite île sèche, que vous appelez aujourd’hui « Malte ». Et dans l’espace sacré du temple, ils sont entrés dans des transes hypnotiques. Et de cette Vie… je me souviens.

Marjolaine Femme du Rêve
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La fille de joie

Elle était là, assise sur son canapé. Vêtue de rien. De ces peaux de dentelle qui couvrent à peine le corps, et un peignoir de soie posé sur les épaules. Elle a le teint clair souviens-toi, et les cheveux lâchés.

Faire des passes toute la journée, ça use, mais il faut être belle.
Gagner son pain et mériter sa place ? Être belle, c’est certain que ça aide.Elle avait quitté sa campagne natale pour se rendre à la ville, pour gagner quelques sous. Devenir bonne sans avoir de recommandations ? Personne n‘avait voulu d’elle alors c’est vrai, il faut bien manger. Ce sont des choses qu’on ne dit pas, mais qui se savent dès que l’on traîne vers les quais, non loin des enfants des rues, que l’on a épuisé le maigre trésor qu’il nous reste, et qu’il commence à faire faim, très faim.« Si tu te laves et que tu t’apprêtes tu verras que tu es jolie ». Être jolie ? Elle n’y avait jamais pensé, on ne pense pas à ça quand on trait les vaches, il faut être rapide, costaude, courageuse, aller dans le purin, savoir manier la fourche mais pas être jolie.

Le jeune garçon qui parle pourrait être son frère. Il a quel âge celui-là, peut-être 14 ans ? C’est lui qui lui présente la mère maquerelle.

Vendre son corps, c’est quand même mieux que travailler à la mine, ou dans les champs ou sur le port. Finalement, au moins là, dans la sueur des nuits, on l’aime pour quelque chose.

Comme les autres filles elle espère que l’un d’eux la demande un jour en mariage, mais personne n’épouse jamais les femmes de petite vertu. On vient pourtant les voir, les étreindre et les posséder pour un instant, pas long, quelques minutes, rarement une heure, ça coûte trop cher.Baiser des bouches, toucher des sexes, écarter des cuisses, faire semblant d’aimer ça pour avoir un pourboire. Bien sûr que ça marche, les hommes, il faut les flatter ! Parfois elle aime ça c’est sûr, surtout quand le client est doux. Mais c’est rare, ce sont des hommes, pas des mauviettes, la douceur c’est pour les pédérastes. Et puis on a de la chance quand ils nous choisissent pour monter, parce qu’on ne vaut pas grande chose, presque rien, et ça, on le sait. Alors être choisie c’est déjà bien.

Les hommes ils ne touchent jamais leur épouse, sauf pour procréer comme dieu l’a ordonné, même les mains ils ne les touchent pas, pas de tendresse. Peu de gestes, et les enfants grandissent comme ça dans les maisons, à distance de tout, parce que le corps c’est impur, les sentiments c’est le démon et la femme porte entre ses cuisses le doigt du diable. Pourtant ils les désirent ces femmes et dès qu’ils peuvent ils dépensent trois sous pour une passe dans la maison close. Il n’y a pas que la maison qui soit close, il y a les cœurs surtout et les âmes aussi.

Filles de joie qu’on les appelle.
Filles de joie c’est joli, et ça rend service.
Guérisseuses des corps et des êtres.
Toucher les sexes, toucher les cœurs,
embrasser les lèvres, embrasser les âmes
Branler les verges, ébranler les certitudes
Sucer le mâle susurrer les mots
Pointer des seins et pointer du doigt Pleurer parfois.
Heureusement qu’elles sont là, les filles de joie.

Marjolaine Femme du Rêve
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La mort de la vieille dame…

Et puis est arrivé le temps du lâcher prise.
Après avoir bataillé en vain il s’est passé quelque chose en elle. Comme si tout à coup les murailles intérieures avaient cédées.
Comme si il n’y avait plus de lutte à mener.L’espace est devenu clair. Et grand et vaste. Même la peur a disparue. Seul le cœur rayonnait en son centre.

C’est alors qu’elle a enfin ressenti cette chose. Cette chose au fond d’elle. Ce qu’on nomme et qui pourtant est innommable.
Le souvenir ineffable de qui elle Est. Cette source qui vibre mais qu’elle ne voyait plus.

Alors elle a ouvert ses armoires et y a délogé ses vieux manteaux. Ses vieilles robes et ses chaussures usées. Elle a tout brûlé. Ne restait plus que l’espace vide. Là où la conscience peut s’éclairer. Ne rien regretter. Ne rien attendre. Être et aimer.

Puis elle est allée sous l’arbre doux du printemps. Celui qui de tout temps est la mais qu’elle ne voyait plus.
Elle s’est assise à son pied. Elle a pleuré. Puis elle a ri.

Et elle est partie. Pieds nus et cheveux lâchés.
Avec ses rides. Avec sa bouche qui avait déjà tant embrassé. Avec la peau flasque de ses bras qui avaient déjà tant porté, tant étreint et tant enlacé.
Et puis sa voix de vieille qui portait à elle seule tous les chants. Ces chants qui l’avaient traversée pour la vie, pour ses enfants et pour se guérir.

C’est avec sa beauté qu’elle est partie. Elle est partie avec sa beauté. Unique et singulière. Une beauté de vieille. Une beauté de vie. Avec ses cheveux blancs et sa peau tachée. Elle est partie avec ce corps qui avait autant aimé que lutté.

Elle a voyagé dans des contrées intérieures.
Celles où il fait bon ne plus porter de nom.
Alors elle s’est souvenue de tout. Et Elle s’est pardonnée. Puis a rendu aux autres les souvenirs qu’ils avaient laissés en elle.

Ne pas laisser de trace. Être un animal dans la forêt.Ne plus se justifier..Ne plus coller à cette image. Cette construction. Enfin elle était libre.Et elle a pu repartir de là où elle venait.Sans ce corps. Sans ce poids. Heureuse d’avoir tant aimé. Tant donné et tant vécu. Alors son corps a nourri la terre mère. Ses animaux. Ses minuscules insectes. Ses champignons et ses bactéries. Son corps est devenu le terreau les futurs arbres du printemps.
Et c’est son chant désormais que le vent sifflerait dans leurs branches. Jusqu’au prochain voyage 🙏Éternel cycle de vie 🙏

Marjolaine Femme du Rêve
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